12

 

 

 

Allons, ce n’était pas si dramatique ! s’admonesta Eve. Pas si on comparait ça aux chambres de torture de l’Inquisition ou à un vol d’essai dans le XR- 85, le jet lunaire. Et elle était flic, depuis dix ans, bon sang ! Le danger, elle connaissait.

Mais ses yeux roulèrent comme ceux d’une jument terrorisée quand Trina essaya ses ciseaux à ultrasons.

— Hé, on pourrait peut-être...

— Laissez faire les experts, dit Trina en reposant ses engins au grand soulagement d’Eve. Voyons ça.

Bien qu’elle fût désarmée, Eve la regarda s’approcher avec suspicion.

— J’ai un programme de morphing, annonça Leonardo.

— J’ai pas besoin d’un fichu programme.

Pour le prouver, Trina saisit fermement le visage d’Eve et se mit à l’examiner à la loupe.

— Bonne structure osseuse, approuva-t-elle. Qui c’est qui s’en occupe ?

— De quoi ?

— De votre sculpture faciale.

— Dieu.

Trina s’arrêta, gloussa avant d’éclater de rire.

— J’aime bien ton flic, Mavis, dit-elle d’une voix éraillée.

— C’est la meilleure, répondit Mavis, perchée sur un tabouret et s’étudiant dans un triple miroir. Tu pourrais peut-être m’arranger un peu, Trina. Mes avocats pensent que je devrais adopter un look plus rangé. Tu vois le genre, brune, quelque chose comme ça.

Trina, d’un coup de pouce, leva le menton d’Eve.

— Ils n’y connaissent rien. J’ai un truc génial pour toi. Rose boxon avec des pointes argentées. C’est tout nouveau.

— Tu crois ? rétorqua Mavis, songeuse.

— A nous ! fit Trina avec autorité.

Le sang d’Eve se glaça dans ses veines.

— Rien qu’une coupe, hein ? On est bien d’accord ?

— Ouais, ouais. (Trina attira le visage d’Eve contre sa poitrine.) Cette couleur est aussi un don de Dieu ? (Elle gloussa et empoigna la chevelure, qu’elle tira en arrière.) Les yeux sont bien. On pourrait retoucher un peu les sourcils.

— Redonne-moi du vin, Mavis.

Eve ferma ces yeux qui étaient bien en se disant que, quoi qu’il arrive, ça repousserait.

— Au shampooing, maintenant. (Trina fit pivoter le fauteuil et son occupante réticente jusqu’à un bac.) Détendez-vous et appréciez. Je fais les meilleurs shampooings et les meilleurs massages de la profession.

Sur ce point, elle n’avait peut-être pas tort. Le vin et les doigts habiles de Trina la firent sombrer dans une douce torpeur. Vaguement, elle entendit Leonardo et Biff se disputer à propos de ses pyjamas : l’un penchait pour du satin écarlate, l’autre pour de la soie cramoisie.

Pourquoi Paul Redford lui avait-il parlé de cette boîte chinoise ? S’il était retourné la prendre et l’avait en sa possession, pourquoi en révéler l’existence ?...

Soudain, on lui appliqua un truc froid et collant sur le visage. Elle poussa un glapissement.

— Qu’est-ce...

— Un masque facial. (Trina l’enduisit d’une autre couche brunâtre.) Ça va vous nettoyer les pores comme un aspirateur. C’est un crime de négliger votre peau. Mavis, va me chercher le Brilla, tu veux ?

— C’est quoi, le Brilla... peu importe. (Avec un dernier frisson, Eve referma les yeux et se rendit sans condition.) Je ne veux pas le savoir.

— Autant vous faire le traitement complet. (Trina ajouta prestement de la boue sur son cou.) Vous êtes tendue, mon chou.

Elle ouvrit le peignoir qu’elle avait obligé Eve à porter et lui massa les seins. Eve battit des paupières. Trina gloussa.

— Ne vous inquiétez pas. Les femmes ne m’intéressent pas. Votre petit ami va adorer vos seins après ça.

— Ils lui plaisent comme ils sont.

— Peut-être. Mais on n’a jamais rien trouvé de mieux comme adoucissant que la boue de Saturne. Ils seront comme des pétales de rose. Croyez-moi sur parole. Est-ce qu’il préfère mordiller ou lécher ?

Eve referma les yeux.

— Je ne suis plus là.

— Passons aux choses sérieuses.

De l’eau coula. Trina se mit à lui frotter les cheveux avec un produit qui avait une délicieuse odeur de vanille.

Des gens payaient pour ce genre de choses, se dit Eve. Ils étaient même prêts à dépenser des fortunes.

Les gens étaient fous. Têtue, elle garda les yeux fermés tandis qu’une substance chaude et humide coulait sur son visage et sur ses seins.

Elle gémit quand on lui massa les pieds. Ils étaient plongés dans un liquide brûlant et étrangement agréable. Puis ce fut au tour de ses mains.

Eve toléra même le bourdonnement bizarre qui frôla ses sourcils. Elle se sentait héroïque.

Ce fut ensuite le tour des ciseaux à ultrasons. Elle grimaça et serra les paupières de toutes ses forces. Ce n’étaient que des cheveux, après tout. L’apparence ne compte pas.

Mon Dieu, faites qu’elle ne me scalpe pas !

Elle se força à penser aux questions qu’elle allait poser à Redford le lendemain matin. Elle acceptait tout ça pour remonter le moral à Mavis, se rappela-t-elle.

Elle sursauta quand Trina redressa brusquement le fauteuil et entreprit d’ôter la boue.

— Elle est à vous dans cinq minutes, dit Trina à un Leonardo qui piaffait d’impatience. Je suis une artiste. Je n’aime pas qu’on me bouscule. (Elle sourit à Eve.) A présent, votre peau est convenable. Je vais vous laisser des échantillons. Utilisez-les, elle le restera.

Mavis la contemplait et Eve eut l’impression d’être un papillon épinglé dans une collection.

— Tu as fait un travail magnifique avec les sourcils, Trina. Ils ont l’air si naturels ! Elle pourrait se teindre les cils, non ?

— Mavis, fit Eve avec lassitude, ne m’oblige pas à te taper dessus.

Mavis se contenta de sourire.

— Les pizzas sont là. (Elle lui en enfourna un morceau dans la bouche.) Attends de voir ta peau, Dallas. Elle est superbe.

Suffoquant à moitié, Eve grogna. Le fromage lui brûlait le palais, mais du jus lui coulait sur le menton. Au risque de s’étouffer, elle avala la part d’un coup tandis que Trina lui enveloppait la tête dans un turban argenté.

— C’est thermique, expliqua-t-elle en redressant le fauteuil. Il y a un truc pour les racines dedans.

Eve se regarda enfin. Bon, sa peau était satinée, mais elle ne voyait pas une seule mèche de cheveux.

— J’en ai encore un peu, là-dessous ? Des cheveux ?

— Bien sûr. Vas-y, Leonardo, elle est à toi pour vingt minutes.

Il s’illumina.

— Enfin ! Enlevez votre peignoir.

— Bon, écoutez...

— Dallas, nous sommes des professionnels. Vous devez essayer le fond de robe. Il y aura certainement des retouches.

Quoi de plus naturel que de se retrouver nue dans une pièce remplie d’étrangers ? Eve, d’un mouvement d’épaules, fit glisser le vêtement.

Leonardo lui tomba dessus avec un machin blanc et brillant. Avant qu’elle n’ait le temps de dire ouf, il lui en avait drapé le buste et l’agrafait dans le dos. Ses grandes mains fouillèrent sous le tissu, lui ajustant méticuleusement les seins. Puis il se pencha, tira un bout d’étoffe entre ses jambes avant de se redresser pour contempler son œuvre.

— Ah.

— Bon sang, Dallas ! Connors va en rester comme deux ronds de flan !

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

— Une variation sur la «Veuve joyeuse ». (A petits gestes précis, Leonardo mettait la dernière touche à son chef-d’œuvre.) Je l’appelle la «Voluptueuse ». Pour vous, j’ai fait remonter un peu les seins. Votre poitrine est très jolie, mais cela lui donnera davantage de relief. Juste un soupçon de dentelle et quelques perles. Rien de surchargé.

Il la tourna face au miroir.

Elle semblait tout en courbes. Sexy. Épanouie, se dit Eve avec stupéfaction. L’étoffe luisait légèrement, comme si elle était mouillée. Elle enserrait sa taille, moulait ses hanches et, elle devait l’admettre, rehaussait son buste à de nouvelles hauteurs fascinantes.

— Euh... ben... je suppose que, pour la nuit de noces...

— Pour toutes les nuits, la coupa Mavis, rêveuse. Oh, Leonardo, tu m’en feras une ?

— Je l’ai déjà faite. En satin rouge canaille. Bon, Dallas, est-ce que ça vous gêne quelque part ?

Elle n’en revenait pas. Ce machin aurait dû être une vraie torture, mais il était aussi confortable qu’un maillot de sport. Elle se pencha, se contorsionna pour l’éprouver.

— Non. C’est comme une seconde peau.

— Excellent. Biff a trouvé ce tissu chez un artisan dans un trou perdu en France. Et maintenant, la robe. Elle n’est que bâtie, allons-y doucement. Levez les bras.

Il la lui glissa par-dessus la tête. Le tissu était époustouflant. Et la ligne élancée et simple lui parut parfaite. Mais des rides creusèrent le front de Leonardo et il se mit à pincer ici, à replier là, à retrousser ailleurs.

— Le décolleté tombe bien. Où est le collier ?

— Hein ?

— Le collier de cuivre et de pierres. Vous ne l’avez pas commandé ?

— Je ne peux quand même pas dire à Connors qu’il me faut un collier !

Leonardo soupira. Il la fit tourner sur place, inspecta la ligne des hanches.

— Vous avez perdu du poids, l’accusa-t-il.

— Mais non.

— Mais si. Au moins un kilo. (Il fit claquer sa langue.) Je n’en tiendrai pas compte. Veillez à le reprendre.

Biff vint la rejoindre, leva un bout de tissu près de son visage. Avec un hochement de tête approbateur, il repartit, marmonnant quelque chose dans son carnet de notes.

— Biff, tu veux bien lui montrer les autres modèles pendant que j’enregistre les retouches à faire sur la robe ?

Dans un geste théâtral, Biff brancha le moniteur mural.

— Comme vous le voyez, dit-il à Eve, Leonardo a pris en compte votre silhouette et votre style de vie pour créer ces toilettes. Cet ensemble simple est parfait pour un déjeuner d’affaires, une conférence de presse. Rien de voyant mais très, très chic. Le tissu est un mélange à base de lin avec un soupçon de soie. La teinte est citrine avec une touche de grenat.

— Hon-hon. (Aux yeux d’Eve, cela avait tout d’un tailleur sobre et bien coupé, mais elle eut un choc en voyant l’image d’elle-même générée par l’ordinateur.) Biff ?

— Oui, lieutenant ?

— Pourquoi avez-vous une carte tatouée sur le crâne ?

— Je n’ai aucun sens de l’orientation. Bien, cet autre modèle décline le thème...

Elle en vit des douzaines. Tant et si bien qu’ils finirent par tous se mélanger dans sa tête. Chaque fois que Mavis s’extasiait, elle passait commande avec une belle insouciance. Elle allait s’endetter pour le restant de ses jours. Qu’importe ! La sérénité de Mavis n’avait pas de prix.

A peine Leonardo lui eut-il enlevé la robe, Trina l’enveloppa de nouveau du peignoir.

— Voyons un peu mon plus grand triomphe !

Lui ôtant son turban, elle prit un large peigne en forme de fourche et se mit à détendre une mèche, à en ébouriffer une autre.

— Qui vous coiffe, Trina ?

— Moi. (Elle fit un clin d’œil à Eve.) Et Dieu. Regardez-vous.

Prête au pire, Eve se retourna vers le miroir. D’abord, elle crut à une vaste plaisanterie. La femme qu’elle voyait était bien Eve Dallas et ne semblait en rien différente. Puis elle regarda mieux. Touffes et épis rebelles avaient disparu. Elle n’avait pas l’air coiffée, mais sa chevelure avait une forme. Et ses cheveux ne possédaient sûrement pas cet éclat avant. Ils dessinaient joliment les contours de son visage, soulignaient les pommettes, le menton. Et quand elle secoua la tête, les mèches retombèrent toutes à leur place.

Les yeux plissés, elle passa ses doigts dedans.

— Vous avez mis du blond ?

— Non. Ces reflets blonds sont naturels, mais le Brilla les a relevés. Vous avez des cheveux de daim.

— Pardon ?

— Vous n’avez jamais vu la robe d’un daim ? Toutes ces nuances de roux, de fauve, d’or et même des pointes de noir. Dieu a été bon avec vous. A l’avenir, évitez de vous couper les cheveux avec un sécateur.

— C’est joli.

— Et comment ! Je suis un génie.

— Tu es belle. (Soudain, Mavis éclata en sanglots.) Tu vas te marier.

— De grâce, Mavis, ne pleure pas ! s’écria Eve, désemparée, en lui tapotant le dos.

— Je suis si soûle et si heureuse. Et j’ai tellement peur. Dallas, j’ai perdu mon boulot.

— Je sais, ma chérie, je suis désolée. Tu vas en trouver un autre. Et bien mieux.

— Je m’en fiche. Je m’en fiche. Je ne vais pas me tracasser pour ça. On va se payer un mariage du feu de Dieu, pas vrai, Dallas ?

— Tout juste.

— Leonardo est en train de me faire une robe démente. Montrons-lui, Leonardo.

— Demain. (Il vint la prendre dans ses bras.) Dallas est fatiguée, mon chou.

— Oui, oui. Elle a besoin de se reposer. Elle travaille trop dur, fit Mavis en se laissant aller contre lui. Elle s’inquiète pour moi. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète, Leonardo. Tout va s’arranger, n’est-ce pas ?

— Sûr.

Leonardo lança un regard embarrassé à Eve avant de sortir avec Mavis.

Eve les suivit des yeux avant de soupirer :

— Merde.

 

 

La lumière rouge clignotait encore et encore de l’autre côté de la fenêtre, sexe ! sexe ! sexe !

Elle n’avait que huit ans, mais elle savait déjà. Allongée sur le lit, elle regardait la lumière. Elle savait ce qu’était le sexe. C’était hideux. C’était douloureux. C’était terrifiant. Et on ne pouvait pas y échapper.

Peut-être qu’il ne rentrerait pas ce soir. Non, il rentrait toujours.

Mais, parfois, elle avait beaucoup, beaucoup de chance  – il était trop soûl, trop abruti pour faire plus que tituber jusqu’au lit et ronfler. Ces nuits-là, elle frémissait de soulagement et se blottissait dans son coin pour dormir.

Elle songeait encore à s’enfuir. Trouver un moyen de franchir la porte verrouillée de l’extérieur, de descendre les cinq étages. Souvent, elle avait envie de sauter par la fenêtre. La chute ne durerait pas bien longtemps, et après, tout serait terminé.

Il ne pourrait plus lui faire mal. Mais elle était trop peureuse pour sauter.

Elle n’était qu’une enfant, après tout, et ce soir elle avait faim. Elle avait froid aussi parce qu’il avait cassé le climatiseur dans un de ses accès de colère.

Sur la pointe des pieds, elle gagna le misérable coin-cuisine. Habituée, elle tapa sur le tiroir avant de l’ouvrir pour chasser les cafards. Elle trouva un biscuit au chocolat. Le dernier. Il allait sûrement la frapper si elle mangeait le dernier. Mais il la frapperait de toute manière, alors autant en profiter.

Elle l’engloutit comme un animal, s’essuya la bouche d’un revers de main. La faim était toujours là. Elle trouva un bout de fromage rance. Elle aimait mieux ne pas se demander quelle vermine l’avait grignoté. Elle prit un couteau et commença à en rogner les parties moisies.

Puis elle entendit la porte. Paniquée, elle lâcha le couteau qui rebondit sur le sol avec un bruit qui lui parut assourdissant.

— Qu’est-ce que tu fais, petite ?

— Rien. Je me suis réveillée. Je voulais boire un peu d’eau.

Il avait les yeux vitreux, mais pas assez vitreux, remarqua-t-elle, au désespoir.

— Réveillée ? Ton papa t’manquait. Viens faire un bisou à ton papa.

Elle ne respirait plus. Et déjà, elle sentait une douleur sourde entre ses jambes.

— J’ai mal au ventre.

— Oh ? J’vais lui faire un petit bisou et ça ira mieux. (Il s’approchait. Soudain, son rictus changea.) Tu mangeais sans permission ? Encore !

— Non, je...

Sa lèvre éclata sous la gifle. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais elle ne gémit pas.

— Je voulais te préparer un morceau de fromage. Pour quand tu...

Il la frappa encore, assez fort pour que des étoiles explosent dans sa tête. La douleur, aveuglante, n’était rien comparée à la peur. La peur de ce qu’il allait encore lui faire.

— Papa, non ! Papa, s’il te plaît !

— ... Vais t’punir. T’écoutes jamais. Jamais, bon Dieu ! Et après, t’auras droit à ta gâterie. Une grosse gâterie et tu seras une bonne fille.

Son haleine était brûlante sur son visage, ses mains lui arrachèrent ses loques, fouillant, pressant, envahissant. Son souffle se fit saccadé. Elle connaissait cela trop bien.

— Non, non, ça fait mal, ça fait mal !

Sa pauvre chair résista. Elle se débattit, cria. Il lui tordit le bras derrière le dos. Elle entendit le craquement sec de l’os qui se brisait.

— Lieutenant, lieutenant Dallas.

Le hurlement lui déchira la gorge et elle ouvrit des yeux aveugles. Paniquée, elle bondit, les genoux tremblants, et s’effondra sur le sol.

— Lieutenant.

Elle se cabra pour se libérer de la main qui lui touchait l’épaule et se recroquevilla, tandis qu’une boule de sanglots et de cris lui nouait la gorge.

— C’était un rêve, dit Summerset avec prudence, le visage impassible. Ce n’était qu’un rêve. Un cauchemar.

— Ne vous approchez pas ! Allez-vous-en ! Ne vous approchez pas !

— Lieutenant, savez-vous où vous êtes ?

— Oui, je sais. (Elle avait froid, chaud. Elle ne parvenait pas à arrêter les frissons.) Allez-vous-en ! Fichez le camp !

— Laissez-moi vous aider à vous asseoir.

Ses mains étaient douces mais assez fermes pour la retenir quand elle essaya de lui échapper.

— Je n’ai pas besoin d’aide.

— Je vais vous aider à vous asseoir.

Il ouvrit un placard, en sortit une couverture. Eve claquait des dents et ses yeux roulaient dans leurs orbites, égarés.

— Restez tranquille, lui ordonna-t-il quand elle chercha à se relever. Ne bougez pas et calmez-vous.

Summerset se dirigea vers l’alcôve et programma l’AutoChef. Il commanda un calmant tout en s’épongeant le front. Sa main tremblait, ce qui ne le surprit pas. Les hurlements qu’elle avait poussés l’avaient glacé jusqu’à la moelle et lui en avaient rappelé d’autres. C’étaient des hurlements de petite fille.

Il lui apporta le verre.

— Buvez.

— Je ne veux pas...

— Buvez ou je vous y oblige, avec plaisir.

Elle se ramassa en boule et se mit à gémir. Aussi gêné qu’elle par cette réaction, Summerset reposa le verre, resserra la couverture autour d’elle et sortit dans l’intention d’appeler le médecin personnel de Connors.

Mais ce fut Connors lui-même qu’il rencontra dans le couloir.

— Summerset, vous ne dormez donc jamais ?

— C’est le lieutenant Dallas. Elle...

Connors lâcha sa mallette, le saisit par les revers.

— Elle est blessée ? Où est-elle ?

— Un cauchemar. Elle hurlait. (Dans un geste d’angoisse qui lui était peu familier, Summerset se passa la main dans les cheveux.) Elle ne réagit pas très bien. J’allais appeler le médecin. Je l’ai laissée dans son bureau.

Connors l’écarta. Summerset l’attrapa par le bras.

— Connors, vous auriez dû me dire ce qu’elle a subi.

Connors se contenta de secouer la tête.

— Je vais m’occuper d’elle.

Il la trouva courbée, tremblante sur sa chaise. Il la souleva gentiment.

— Tout va bien maintenant, Eve.

— Connors... (Elle frémit convulsivement.) Les rêves...

— Je sais. (Il déposa un baiser sur sa tempe mouillée.) Je suis désolé.

— Ils reviennent tout le temps, maintenant. Sans arrêt. Je ne peux pas les en empêcher.

— Eve, pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? (Doucement, il fit basculer sa tête en arrière pour scruter son visage.) Tu n’es plus seule, désormais.

— Avant, je ne me souvenais pas, fit-elle comme si elle ne l’avait pas entendu. A présent, je me souviens de tout... Je l’ai tué, Connors. J’ai tué mon père.